*"Sir Walter Scott, The Lady of the
Lake"
Organiser un système de travail efficace dans un état d'alerte n'est
pas facile. On doit être prêt à répondre à des demandes compliquées et à fournir
des efforts considérables pour obtenir les réponses demandées.
Au début des années quatre-vingt-dix la Croatie faisait face à des
problèmes semblables à ceux des autres pays d'Europe Centrale et de l'Europe de l'Est
(CEE) dû à la transition d'un système mono-partite à une démocratie pluralistique et
à l'introduction d'une économie de marché libre. Les domaines de la santé publique, de
l'éducation médicale et de la recherche scientifique d'où proviennent la plupart de nos
consommateurs, subissaient alors une restructuration. Les bibliothèques médicales
commençaient à restructurer leurs services et à former les bibliothécaires pour de
nouveaux projets. Mais la Croatie fut alors affectée par un événement inattendu et
pénible - une aggression militaire après l'indépendance qui avait été proclamée, et
qui dégénéra très vite en un conflit armé sérieux. Les conséquences physiques,
psychologiques et sociales de cette guerre ont déjà été remarquablement décrites par
Richard Horton, éditeur du Lancet dans son rapport sur la Croatie et la Bosnie (1,2). |
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La guerre imposa des tâches très sérieuses et difficiles à toutes
sortes de professionnels du monde médical. Il y avait de nombreux obstacles tels que le
manque de matériel, le nombre insuffisant de personnel médical militaire spécialisé et
ensuite le manque d'expérience dans l'organisation et le fonctionnement d'un corps
d'armée médical (3). De manère plus personnelle, il y avait le manque d'expérience
pour faire face à des événements éprouvants (perte des foyers, séparation des membres
d'une famille, perte de tous ses biens et souvenirs) etc. La Faculté de Médecine de
l'Université de Zagreb, le centre médical le plus important fut tout à coup chargée de
gérer des questions d'organisation technique en temps de guerre. Cette responsabilité
affecta aussi le personnel de la bibliothèque.
La première tâche de conflit de la bibliothèque centrale de
médecine en juillet 1991 était de trouver des documents contenant le droit fondamental
en temps de guerre, c'est à dire les traités et conventions internationales sur la
conduite des combats et la protection des victimes. La loi de guerre assure une protection
spéciale pour des catégories spécifiques de personnes et d'objets et parmi elles, le
personnel militaire et civil médical. D'autre part, la loi humanitaire internationale,
ainsi que celle des droits humains offrent un cadre de référence pour ceux qui essayent
de porter des secours d'urgence et des médicaments en zone de guerre (4). Pendant cette
période, la Croatie subissait des violations de droit humain qui avaient souvent des
conséquences médicales importantes. Une recherche dans le catalogue permit de découvrir
une traduction en Croate de la Convention de Genève. En même temps, nous nous sommes
rendu compte des lacunes sérieuses de notre collection dans le domaine de la médecine de
guerre. Par exemple, notre collection ne contenait qu'un vieux manuel de chirurgie de
guerre, publié en 1953. Nous avons aussi trouvé quelques journaux (par example War
Medicine) et quelques numéros spéciaux (par example Israel Journal of Medical Sciences,
Surgical Clinics of North America). Mais cela restait insuffisant. La technologie de
guerre a complètement changé et ses conséquences médicales aussi. Nous avons alors
décidé de demander de l'aide au Comité International de la Croix-Rouge et à nos
collègues d'autres bibliothèques par une lettre publiée dans le Bulletin d'information
de l'AEIBS (6).
Les hostilités s'aggravèrent en automne 1991. Des parties du pays se
trouvaient complètement isolées et leurs habitants Croatiens furent chassés. Nous
entendîmes le son des premières alertes. Le nombre des réfugiés et des blessés
augmenta. En tant que Directrice de la Bibliothèque, je fus nommée à la Division du
Quartier Général du Corps Médical de. Les priorités quant à l'information médicale
à transmettre étaient définies selon la situation du moment, mais en premier lieu la
Bibliothèque devait assurer l'information pour:
- toutes les divisions du Quartier Général du Corps Médical.
- les services de santé publique (protection biologique et chimique,
médecine préventive, contrôle sanitaire, etc. qui comprenait aussi les problèmes de
réfugiés)
- tous les services médicaux régionaux quand leurs besoins en
information ne pouvaient être satisfaits par les bibliothèques locales (problèmes
inconnus ou complexes selon les cas de malades traumatisés).
L'atmosphère quotidienne de la bibliothèque devint chargée, tendue
et excitée. Le nombre de personnel diminua. Nos collègues masculins devinrent
volontaires ou furent consignés et les mères d'enfants en bas âge étaient très
souvent absentes ce qui se comprend. Le magasin de la bibliothèque fut transformé en
abri.Tous ceux qui se trouvaient dans le bâtiment central de la Faculté au moment d'une
alerte vinrent se réfugier à la bibliothèque. Le magasin prit l'allure d'une grande
salle de lecture avec les gens prenant les journaux des rayons et les lisant soit debout
soit assis par terre. Le comité de la Faculté utilisa aussi la bibliothèque dans ces
moments avec tous leurs téléphones redirigés sur nos extensions. J'avais souvent
l'impression que la bibliothèque était le point de rencontre central de toute la
Faculté.
L'horaire des cours ne fut pas modifié et l'enseignement ne fut pas
interrompu (7). Tous les sièges des étudiants dans la salle de lecture étaient en
général occupés. Les périodiques continuèrent à arriver régulièrement de même que
les disques compacts de Medline. Nous consultâmes la version imprimée de l'Index Medicus
depuis 1943 de même que Medline pour tous les aspects reflétant la médecine de guerre.
Les références furent classées en trois groupes:
- aspects de l'organisation de combats de guerre (y compris les
questions de personnes déplacées)
- traumatismes psychologiques
- blessures
Tous les articles identifiés furent copiés et mis à disposition sur
le bureau de référence. Nous avons offert de l'aide pour la recherche d'information et
la fourniture de documents à toutes les institutions et les services sur la ligne du
front. Leurs demandes avaient entière priorité et bien sûr étaient gratuites.
Il était souvent difficile de décider sur une stratégie de recherche
appropriée et de trouver les références nécessaires. Les références sur les
conséquences médicales de la guerre ne sont pas tellement nombreuses dans les
périodiques. Dans les journaux Américains par exemple, PTSD est bien décrit avec
d'autres troubles psychologiques et sociaux en ce qui concerne les vétérans. Mais ces
cas surviennet surtout. plus tard. Nos problèmes urgents étaient:la chirurgie de guerre
(les blessures et leurs conséquences), les soins pour les personnes déplacées et les
questions d'organisation d'un corps médical en formation. Plusieurs problèmes étaient
spécifiquement liés aux circonstances locales et nos bibliothécaires firent de leur
mieux pour évaluer critiquement la littérature disponible, en comparant l'information
avec les données locales.
Pendant cette période, de l'aide commença à arriver. Le contenu de
l'envoi de la Croix-Rouge contenait des documents sur la législation internationale
humanitaire ainsi que la classification des blessures selon la Croix-Rouge et une
videocassette sur la chirurgie de guerre , dont nos médecins avaient grand besoin. La
British Library nous fit parvenir une bibliographie établie pendant la guerre du Golfe.
Plusieurs bibliothèques médicales Européennes et Américaines nous firent parvenir des
livres et des photocopies et nous offrirent toutes sortes d'aide. L'Union Fraternelle
Croate de l'Amérique nous donna plusieurs centaines de livres qui furent immédiatement
distribués dans toutes les bibliothèques médicales Croates. Les livres furent
transportés par divers moyens, voitures privées et camions militaires. Nous étions
satisfaits d'apprendre que les ouvrages arrivèrent à destination et étaient de quelque
utilité.
Tout le personnel de la bibliothèque travailla avec un enthousiasme
incroyable, faisant même face à des situations pour lesquelles nous n'avions aucune
expérience. Par exemple, nous avons collaboré dans la révision éditoriale du manuscrit
pour un manuel de chirurgie de guerre et nous avons préparé des articles qui devaient
être publiés dans des périodiques médicaux internationaux. Nous avons collectionné et
indexé les articles apparaissant sur la guerre de Croatie dès leur parution.
Aujourd'hui, notre base de données contient plus de 700 références et nous sommes en
train d'en préparer une version pour le site Internet. Dans notre bibliothèque clinique
nous avons même commencé à organiser une collection de romans (un prêt d'une
bibliothèque de la ville). Les livres étaient destinés aux blessés hospitalisés. Nous
en avons établi une liste qui fut distribuée aux patients par le corps infirmier.
Cette période de travail intense a duré presque trois ans. Lorsque je
me remémore aujourd'hui ces " jours d'alarme, [et] nuits d'alerte", je suis
encore consciente de l'importance de notre profession et de ce que nous avons vécu
quotidiennement.. Cela a été une expérience précieuse et bouleversante que je ne
désire jamais revivre, mais aussi que je n'oublierai jamais.
Références:
1. Horton R. Croatia and Bosnia: the imprints of war. I. Consequences. Lancet
1999;353:2139-44.
2. Horton R. Croatia and Bosnia: the imprints of war. II. Restoration. Lancet
1999;353:2223-28.
3. Puntaric D, Brkic K. Formation and organization of military medical service at the east
Slavonia front in the 1991/1992 war in Croatia. Milit Med 1995;168:412-6.
4. Leaning J. Medicine and international humanitarian law. BMJ 1999;319:393-4.
5. Kostovic I, Judas M, eds. Mass killing and genocide in Croatia 1991/92: a book of
evidence. Zagreb: Hrvatska sveucilisna naklada, 1992.
6. Shaw J. Stop-Press from Zagreb. EAHIL Newsletter 1991; (17): 13
7. Marusic M. War and medical education in Croatia. Acad Med 1994;69:111-3.
Jelka Petrak
Sommaire No. 49
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